Samba le berger peul. Crédit : MLK
Samba le berger peul. Crédit : MLK

La vache est sacrée chez les peuls. Une sacralité au cœur de leurs chants poétiques, comme l'explique Samba Diallo, berger peul du Trarza, originaire du Macina.

Une rencontre fortuite au détour d'une visite du troupeau familial. Samba Diallo, originaire du Macina, est l'un de ses bergers peuls. Une approche presque cérémonieuse de la vache qu'il s'apprête à traire. Un murmure chantant qui se précise, et plus audible au fur et à mesure qu'il s'approche de la vache. Puis le veau qu'on approche des mamelles pour tranquilliser la mère, les pattes arrières qu'on sangle pour l'immobiliser. Et la traite commence. Le chant entêtant continue :

Au nom d'Allah Le Miséricordieux
Allah Le Clément
Si Allah le veut, si le Prophète le veut,
Moi je ne veux la crème de personne,
Mais que personne aussi ne veuille de ma crème,
Je ne prends la crème de personne,
Mais que personne a
ussi ne prenne ma crème.

Près d'un litre de lait plus tard, la calebasse de Samba est à demi-pleine. Le sourire toujours aux lèvres, il se relève avec une souplesse héritée de cet exercice régulier de la traite, et se dirige vers la prochaine vache, aussi cérémonieusement qu'en allant vers la première. "La vie sociale, alimentaire, financière, culturelle de notre communauté dépend et tourne autour de nos troupeaux de vaches. Sans un troupeau digne de ce nom, tu n'es pas un homme accompli" explique fermement Samba Diallo. De ce fait, "tu ne peux pas traire, ou t'approcher d'une vache comme d'un mouton que tu vas égorger! Non. Tu dois montrer de l'affection et du respect" estime le berger.

Une forme de rite et de révérence, que feu Abdoul Sy-Savané décrivait bien dans son essai La poésie pastorale peule au Fouta-Djallon paru en 1987 aux éditions Harmattan :

«La vie pastorale des Peuls comporte un ensemble de pratiques magiques qui s'exprime à travers des rites, un mode de vie liés à leurs activités pastorales. Leur vision du monde, leur conception de la vie, leur passion pour l'élevage des bœufs se manifestent à travers des poèmes dits pastoraux parlés et agis.


L'éleveur peul, qui croit profondément en la vertu des mots, en la force et l'efficacité de la parole, pense pouvoir maîtriser et domestiquer les forces occultes par des symboles, des rites et des formules magiques».

Dès lors la protection des bœufs est au cœur des incantations, et de l'imaginaire peul :

«Pour le pasteur peul, les génies et les esprits maléfiques cherchent à nuire à ses bœufs ; il faut donc conjurer leur action en faisant recours constamment à des incantations magiques. Ce faisant, il pense les protéger en cas de maladie. La composition des poèmes pastoraux obéit à une thématique qui montre que tout est centré sur la vache, objet d'adoration, raison de vivre du peul.» continue Abdoul Sy-Savané.

Le poème le plus symbolique et connu du monde pastoral peul pour la protection de la vache, est le suivant, déclamé de la Guinée, au Mali en passant la Mauritanie :

Jebbelin! Jabbalin! Kisatun! Kasatun!

Mes boeufs font le tour et le détour de la termitière
L'hyène aussi fait le tour et le détour de la termitière
Elle avala une racine et cracha une pierre
Une autre hyène effraya mes boeufs
Le Prophète leur vint au secours
Mes boeufs portent des « pantalons en pierre »
Et des boubous en fer
Alors que les griffes de l'hyène sont très fragiles.
Mes boeufs sont sous la protection d'Allah
Troupeau de boeufs, grand troupeau de boeufs
L'aveugle est devant
Le paralytique est derrière
Moi, Alpha Oumarou, je suis capable de bien
Je confie me
s boeufs à Allah et à son Prophète.
Que Dieu et son Prophète protège mes boeufs
Car c'est lui le Tout-Puissant.

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