Abdoul Aziz Kassé, cancérologue sénégalais : « Après 40 ans, le cancer est la principale cause de décès dans les hôpitaux »
07 janv. 2021Opérationnel depuis 2019, le centre international de cancérologie du Professeur Abdoul Aziz Kassé aspire à devenir un hub de santé dans la sous-région. Rencontre avec un homme de vision, qui veut participer à l’émancipation des médecines spécialisées en Afrique.
« Je suis né à Tambacounda au Sénégal tout juste avant l'indépendance. Nous étions dans une zone très enclavée avec un seul médecin pour toute la région. Il faisait des tournées entre Kedougou, Tambacounda, Bakel etc. c'était donc risqué de tomber malade au vu de la faiblesse de la réponse sanitaire alors » raconte le Professeur Abdoul Aziz Kassé, dans le bureau de son cabinet de consultation à Dakar. Dans ce contexte, il promet à sa grand-mère très malade qu’il allait devenir médecin pour la soigner. « La promesse des enfants... Mais j’ai tenu une partie de ma promesse en devenant médecin. J'ai été envoyé à Saint-Louis au lycée Charles de Gaulle après mes études primaires. Mais on m'a ramené à Dakar n'ayant pas de famille d'accueil là-bas » dit-il.
Il continue donc au lycée Blaise Diagne où se déroule tout son secondaire. « Mais pour de la contestation avec le raciste Professeur Lenglet, alors que j'étais major de la promotion, j’ai dû répondre, et ai été exclu de tous les établissements sénégalais en 1969. Senghor avait fait une mesure de clémence pour les élèves exclus ; j’ai eu la chance d’en bénéficier et de poursuivre mes études très convenablement » continue le cancérologue.
Un cursus académique qui continue avec un concours d’entrée obtenu à l’école militaire de santé. « C’est vraiment sous l’influence de mon prof de biologie, Mr Paul Jules, que je suis entré dans cette école, où j’ai mené une scolarité de médecine sans trop de difficultés, avec un succès au concours d’internat des hôpitaux, dont je suis sorti médecin-lieutenant, en étant anatomiste au départ » précise le fils de Tambacounda.
La quête de sa spécialité
« Je n'avais pas envie à cette époque de voir des malades. Mais le chef de service de l'anatomie a exigé que je fasse une discipline clinique, et m’a envoyé en gynécologie. Je l'ai fait un an en tant qu'accoucheur. Mais je ne me sentais pas bien, je me suis donc orienté vers la chirurgie générale. Vers la fin de mon internat j’ai bifurqué vers la cancérologie » raconte le médecin sénégalais.
Une découverte de la cancérologie dans les circuits sanitaires sénégalais qui l’amènent à reconsidérer certains a priori de la réalité du cancer au Sénégal. « Beaucoup pensaient que le cancer existait peu, et ne se situait que chez les riches. Ce qui était faux. Depuis 1956 une équipe française y faisait un travail extraordinaire, mais quand les français sont partis, les enseignants africains sont partis également, et la cancérologie sénégalaise a végété » affirme le Professeur Kassé.
Il y découvre un monde sens dessus dessous. Tout était à refaire. « Même la consultation n'était pas organisée. Des archives à la consultation en passant par le bloc opératoire tout devait être repensé, réorganisé » dit-il. Sur la demande du chef de service d’alors, insistant sur le fait qu’il devait rester dans sa spécialité, il réussit à obtenir d’être formé en cancérologie. « A l'occasion d’un congrès (cancer et virus africains où les Professeurs Robert Gallot et Luc Montaigner se confrontaient sur la découverte du virus du sida) en 1986, je me retrouve à l'institut Paul Brousse où je me forme en cancérologie médicale. Et j'aimais de plus en plus cette spécialité. J’ai obtenu un accueil à Montpellier au centre cancérologique où j’ai appris les rudiments de la chirurgie du cancer. » développe le cancérologue.
Le retour au Sénégal
Il rentre en 1988 au Sénégal, où il commence à réimplanter la cancérologie et son enseignement. « J’étais du groupe qui a aidé à installer le premier appareil de radiothérapie au Sénégal, offert par Jacques Crozemarie. J’ai essayé de constituer une équipe de radiothérapeutes et de cancérologues. Aucun jeune malheureusement n’est rentré de sa formation en Europe, ou avait changé de spécialité » déplore le chirurgien. Il redemande alors face à ce manque de spécialistes de la cancérologie, de retourner en formation en France, entre 1991 et 1993, où il obtient une douzaine de diplômes autour des spécialités de la cancérologie, avant un second retour au pays.
La quête de l’excellence continue l’année suivant de son retour, cette fois ci aux USA, où il se spécialise durant 2 ans dans les cancers liés aux virus. « J’ai ainsi eu la chance de travailler avec les équipes qui travaillaient sur le vaccin du cancer du côlon. On m’a proposé d’y rester (à Seattle – ndlr), mais il y avait trop à faire au Sénégal » se souvient-il.
Plaidoyer pour un changement de comportement contre le cancer
« Le cancer était déjà il y a 25 ans, un problème de santé publique, contrairement à ce que les gens pensaient. Après 40 ans, le cancer était la principale cause de décès dans les hôpitaux. Peu y ont cru. Il a fallu attendre des études sur la particularité du cancer du sein, entre autres, et qu’on fasse des corrélations nettes entre certains cancers et le rôle actif du tabac, les papillomavirus, et même les encens locaux (communément appelés « tchouray » - ndlr). » explique longuement le Professeur Abdoul Aziz Kassé.
Il fallait donc un plaidoyer pour un changement de comportement contre le cancer. « Ce mot ne devait plus être un tabou déjà. Ensuite il fallait un programme national de lutte contre le cancer, ce que je n'ai jamais pu obtenir au Sénégal. » déplore-t-il.
30% des cancers sont liés au tabac, donc à son sens, logiquement, la lutte devrait entre autres être axée contre le tabac également. Un succès qu’il obtient après 15 ans de bataille au Sénégal, après avoir fédéré les associations concernées dans une ligue nationale, dynamique, contre ces fléaux sanitaires. « Le corps médical a également mené d’importantes campagnes de vaccinations, car parmi les virus certains accentuent le risque de cancer, comme l’hépatite B par exemple, qui fait risquer un cancer du foie. Nous avons obtenu la vaccination gratuite contre l’hépatite à la naissance. La même gratuité a été obtenu pour le vaccin des papillomavirus (il coûtait 120.000 FCFA, il est gratuit aujourd’hui – ndlr). Nous exhortons régulièrement les femmes à un dépistage pour les cancers du col de l’utérus et du sein. Nous commençons pour la prostate » soutient-il.
La société civile s'est emparée de cette question pour pousser le gouvernement vers un plan national de lutte contre le cancer. « Je dois saluer le président Macky Sall. Objectivement il a été le seul Président qui a suivi les évolutions difficiles de la cancérologie au Sénégal, et qui a apporté un début de réponse. » dit le Professeur. Un centre de cancérologie est en cours de construction à Diamniadio ; des lois contre le tabac ont été votées ; des diplômes liés au cancer sont aujourd’hui accessibles au Sénégal. « Nous avons même poussé vers la création d’un diplôme concernant les métiers de la radiothérapie » précise le médecin.
Le legs d’un hub de haut niveau contre le cancer
« L’action que je voulais avoir dans le public, à défaut d'être terminée, était assez avancée. Il restait cependant à mon sens, à développer des hubs de centre de traitement de cancer, et de hautes technologies » affirme le chirurgien. En 2013, des partenaires français s'y intéressent, et montent pour le Sénégal le centre international de cancérologie (CIC) à Dakar. « Ce centre fait partie d’un groupe de 5 hubs en Afrique. Il ne manque ici que la chirurgie que nous pratiquons dans les hôpitaux » précise le Tambacoundais. Des internes africains de toutes nationalités y affinent leurs spécialisations. Le Rwanda a développé son centre dans le cadre d’un partenariat public privé. Ethiopie, Kenya et Togo ont suivi. « Nous ne nous arrêterons pas jusqu'à ce que toutes les machines nécessaires à la lutte contre le cancer soient installées sur le continent. Ce jour-là seulement je pourrai prendre ma retraite au Sénégal oriental et me lancer dans la pisciculture » conclut-il en riant.
Le Centre International de Cancérologie à Dakar, un hub technologique de lutte contre le cancer. Crédit :
Le retour au Sénégal
Il rentre en 1988 au Sénégal, où il commence à réimplanter la cancérologie et son enseignement. « J’étais du groupe qui a aidé à installer le premier appareil de radiothérapie au Sénégal, offert par Jacques Crozemarie. J’ai essayé de constituer une équipe de radiothérapeutes et de cancérologues. Aucun jeune malheureusement n’est rentré de sa formation en Europe, ou avait changé de spécialité » déplore le chirurgien. Il redemande alors face à ce manque de spécialistes de la cancérologie, de retourner en formation en France, entre 1991 et 1993, où il obtient une douzaine de diplômes autour des spécialités de la cancérologie, avant un second retour au pays.
La quête de l’excellence continue l’année suivant de son retour, cette fois ci aux USA, où il se spécialise durant 2 ans dans les cancers liés aux virus. « J’ai ainsi eu la chance de travailler avec les équipes qui travaillaient sur le vaccin du cancer du côlon. On m’a proposé d’y rester (à Seattle – ndlr), mais il y avait trop à faire au Sénégal » se souvient-il.
Plaidoyer pour un changement de comportement contre le cancer
« Le cancer était déjà il y a 25 ans, un problème de santé publique, contrairement à ce que les gens pensaient. Après 40 ans, le cancer était la principale cause de décès dans les hôpitaux. Peu y ont cru. Il a fallu attendre des études sur la particularité du cancer du sein, entre autres, et qu’on fasse des corrélations nettes entre certains cancers et le rôle actif du tabac, les papillomavirus, et même les encens locaux (communément appelés « tchouray » - ndlr). » explique longuement le Professeur Abdoul Aziz Kassé.
Il fallait donc un plaidoyer pour un changement de comportement contre le cancer. « Ce mot ne devait plus être un tabou déjà. Ensuite il fallait un programme national de lutte contre le cancer, ce que je n'ai jamais pu obtenir au Sénégal. » déplore-t-il.
30% des cancers sont liés au tabac, donc à son sens, logiquement, la lutte devrait entre autres être axée contre le tabac également. Un succès qu’il obtient après 15 ans de bataille au Sénégal, après avoir fédéré les associations concernées dans une ligue nationale, dynamique, contre ces fléaux sanitaires. « Le corps médical a également mené d’importantes campagnes de vaccinations, car parmi les virus certains accentuent le risque de cancer, comme l’hépatite B par exemple, qui fait risquer un cancer du foie. Nous avons obtenu la vaccination gratuite contre l’hépatite à la naissance. La même gratuité a été obtenu pour le vaccin des papillomavirus (il coûtait 120.000 FCFA, il est gratuit aujourd’hui – ndlr). Nous exhortons régulièrement les femmes à un dépistage pour les cancers du col de l’utérus et du sein. Nous commençons pour la prostate » soutient-il.
La société civile s'est emparée de cette question pour pousser le gouvernement vers un plan national de lutte contre le cancer. « Je dois saluer le président Macky Sall. Objectivement il a été le seul Président qui a suivi les évolutions difficiles de la cancérologie au Sénégal, et qui a apporté un début de réponse. » dit le Professeur. Un centre de cancérologie est en cours de construction à Diamniadio ; des lois contre le tabac ont été votées ; des diplômes liés au cancer sont aujourd’hui accessibles au Sénégal. « Nous avons même poussé vers la création d’un diplôme concernant les métiers de la radiothérapie » précise le médecin.
Le legs d’un hub de haut niveau contre le cancer
« L’action que je voulais avoir dans le public, à défaut d'être terminée, était assez avancée. Il restait cependant à mon sens, à développer des hubs de centre de traitement de cancer, et de hautes technologies » affirme le chirurgien. En 2013, des partenaires français s'y intéressent, et montent pour le Sénégal le centre international de cancérologie (CIC) à Dakar. « Ce centre fait partie d’un groupe de 5 hubs en Afrique. Il ne manque ici que la chirurgie que nous pratiquons dans les hôpitaux » précise le Tambacoundais. Des internes africains de toutes nationalités y affinent leurs spécialisations. Le Rwanda a développé son centre dans le cadre d’un partenariat public privé. Ethiopie, Kenya et Togo ont suivi. « Nous ne nous arrêterons pas jusqu'à ce que toutes les machines nécessaires à la lutte contre le cancer soient installées sur le continent. Ce jour-là seulement je pourrai prendre ma retraite au Sénégal oriental et me lancer dans la pisciculture » conclut-il en riant.
Le legs d’un hub de haut niveau contre le cancer
« L’action que je voulais avoir dans le public, à défaut d'être terminée, était assez avancée. Il restait cependant à mon sens, à développer des hubs de centre de traitement de cancer, et de hautes technologies » affirme le chirurgien. En 2013, des partenaires français s'y intéressent, et montent pour le Sénégal le centre international de cancérologie (CIC) à Dakar. « Ce centre fait partie d’un groupe de 5 hubs en Afrique. Il ne manque ici que la chirurgie que nous pratiquons dans les hôpitaux » précise le Tambacoundais. Des internes africains de toutes nationalités y affinent leurs spécialisations. Le Rwanda a développé son centre dans le cadre d’un partenariat public privé. Ethiopie, Kenya et Togo ont suivi. « Nous ne nous arrêterons pas jusqu'à ce que toutes les machines nécessaires à la lutte contre le cancer soient installées sur le continent. Ce jour-là seulement je pourrai prendre ma retraite au Sénégal oriental et me lancer dans la pisciculture » conclut-il en riant.