Au moment où toutes les nominations administratives ont une seule teinte communautaire, une seule couleur, avec des nominations policières, ainsi que des pseudo-concours de commissaires, officiers et inspecteurs, qui démontrent la volonté de l'actuel état de noyer les noirs de ce pays, l'Etat de Mohamed Ould Abdel Aziz continue sa politique de division sociale. Dernier acte de ce plan affiché, le changement de couleurs du drapeau et de l'hymne national, en vue de créer une histoire imaginaire, qui décomplexerait une frange du pan communautaire maure de leur complexe identitaire vis-à-vis des Arabes. Purement et simplement. Une stratégie d'enfant qui fait fi des faits, oblitérant au passage l'identité multiple, africaine et arabe de ce pays, cherchant à inciter les frustrations, à viser le clash, et faire oublier l'incompétence chronique de ce gouvernement raciste et gabegiste.

Le collectif des veuves d'Inal, et l'activiste Cheikh Mezid, le 28 novembre 2015, lors de la commémoration des pendus du28 novembre 1990. Crédit : Mozaikrim/MLK

Le collectif des veuves d'Inal, et l'activiste Cheikh Mezid, le 28 novembre 2015, lors de la commémoration des pendus du28 novembre 1990. Crédit : Mozaikrim/MLK

Je n'ai personnellement jamais accepté, le terme "apartheid" quand les discussions en arrivent au racisme d'état en Mauritanie, qui existe depuis bientôt 35 ans. Ce serait insulter les sud-africains pour qui connaît historiquement les horreurs de ce système inhumain. Les mots ont de la valeur. Mais parler de "ségrégation raciale et culturelle" en Mauritanie n'est pas exagéré, ni un euphémisme. Ce sont les mots justes.

 

Quand un groupe idéologique, abêti des senteurs du baathisme, et d'un complexe identitaire de l'arabité, en arrive aveuglément, à clouer au piloris les autres cultures communautaires, et les noirs plus globalement, on peut parler de ségrégation culturelle et raciale. Cette idéologie de l'enclavement des identités, et de la désintégration des cultures communautaires, emprunte toutes les voies possibles pour que la Mauritanie soit oblitérée de toute trace d'origine culturelle ou historique autre que prétendument arabe. Même l'identité berbéro-bédouine proprement dite. Pour le faire, l'administration actuelle use de toutes ses structures, et de toutes ses forces pour faire garder une avance à la domination d'un groupe sur les autres, que ce soit au niveau administratif, éducatif, économique, militaire ou culturel. 

 

Prenons le service de santé : "Pour écarter les médecins noirs et/ou non-arabophones, le ministère de la santé, dans ses concours, pose deux questions : l'une technique, liée au domaine de compétence, en français, et l'autre de philosophie, en arabe, les deux ayant le même coefficient!" s'insurge ce jeune docteur, fraîchement rentré au pays. Une manière de dire sans concessions à ses yeux : soyez, et/ou parlez arabe (Hassanya en réalité), sinon allez-vous en.

 

Un autre exemple : les nominations au sommet policier en octobre 2016 : 46 nominations, toutes mauresques, à l'exception d'une qui fera figure de "couleur locale". Parlons d'unité nationale : c'est un coup de poing dans les côtes d'une nation encore incréée. Cette monocoloration se retrouve au niveau de tous les sommets bureaucratiques et des corps armés.

Le retournement de situation qui suit, pour ceux qui critiquent ce système, dans certaines bouches, est assez ubuesque : "tu es un raciste" m'a-t-on lâché une fois dans un café, où la discussion était assez passionnée. Un terrorisme intellectuel qui fait que tous les esprits savent, et la plupart se taisent ou usent d'euphémismes creux. Comme Houria Boutelja, "je n'ai pas les moyens d'être raciste", donc ce discours sera de plus en plus développé, martelé jusqu'à être entendu dorénavant, et repris notamment par une certaine jeunesse maure qui émerge et découvre avec horreur l'histoire de leur concitoyens noirs.

 

Côté administration : "Pour le récent mariage de mon neveu, nous sommes allés à la préfecture, afin de demander une autorisation pour la cérémonie, avant d'aller au commissariat. On nous a explicitement dit de manière très méprisante que la demande devait exclusivement être faite en arabe, et que si on ne pouvait pas écrire en arabe, de rentrer chez nous" affirme une dame de Tevragh Zeïna.

 

Le système éducatif est au cœur de ce système d'exclusion : l'école publique n'est plus qu'un mausolée vide, où aujourd'hui seuls les plus démunis, très largement, et essentiellement les Haratines y sont envoyés par leurs parents, par défaut. Les politiques qui font s'écrouler ce système, prônant ici et là son arabisation, ne font pas bénéficier leurs enfants des "bienfaits" du système qu'ils mettent en place. "Les enfants de Yahya Ould Hademine, premier ministre du gouvernement qui détruit actuellement ce système scolaire, ont été envoyés au Lycée français Théodore Monod de Nouakchott, sans avoir eu à passer le test d'entrée, après une pression sur l'établissement" raconte un ancien cadre administratif qui fait partie du conseil des parents d'élèves du lycée français."Nous sommes à un tournant des relations inter-communautaires en Mauritanie, notamment avec la baisse qualitative de l'éducation publique, qu'on adresse quasi-exclusivement aujourd'hui aux haratines, qui donne peu de chances d'avoir une relève académique de qualité et surtout de diviser encore plus la société mauritanienne" se désole l'ancien cadre.

 

La survie grâce à la diaspora

 

Économiquement, le schisme est encore plus flagrant. Toutes les banques, les contrats d'affaires publiques, les directeurs des entreprises publiques, sont entre les mains d'une seule composante communautaire. Ce que rappelle avec force de chiffres le manifeste des cadres Haratines en 2013 (http://fr.alakhbar.info/6616-0-MANIFESTE-Pour-les-droits-des-Haratines-au-sein-dune-Mauritanie-unie.html).

 

Malgré tout, les autres communautés, notamment du Fleuve, ont résisté ces 20 dernières années, en grande partie grâce à sa diaspora. "La diaspora a clairement permis aux communautés noires restées sur place de survivre, notamment dans le monde rural. 2/3 des devises proviennent de la diaspora (entre 160 et 240 millions d'euros annuellement - ndlr). La pêche et les mines représentent seulement le tiers de celles-ci!" assure la directrice mauritanienne d'un fonds d'investissement basé à Dakar. Pourtant l'état mauritanien ferme sciemment de manière froidement calculée le consulat mauritanien en France, pour mettre le plus de bâtons dans les roues de la diaspora, essentiellement noire en Europe.

 

Enjeux pour faire plier le pouvoir

 

En Afrique du Sud, pour déverrouiller le système, il y a eu des créations de réseaux locaux plus ou moins puissants. "Mais pour la Mauritanie c'est relativement compliqué à mettre en place à cause d'un manque de maîtrise des médias et de la majorité analphabète" explique Mamadou Touré, président d'African Foundation 2.0, fraîchement primé pour son activisme panafricain. En revanche, il insiste sur l'importance, dans le contexte mauritanien, de questionner et impliquer la communauté internationale. "Ce que d'ailleurs fait bien un leader comme Birame Abeid" conclut-il.

Mais ce n'est qu'une étape, la suivante étant un retour à ces réseaux locaux (régionaux en l'occurrence pour la Mauritanie), avec des initiatives émergeant de plus en plus de l'intérieur du pays, et proposant des modèles parallèles de vie en communautés, et de développement agricole par exemple. 

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