Un enfant malnutri, entrain de boire de la bouillie de farine enrichie pendant cette soudure en 2015. Crédit : MLK / Mozaikrim
Un enfant malnutri, entrain de boire de la bouillie de farine enrichie pendant cette soudure en 2015. Crédit : MLK / Mozaikrim

A bonne école « Tayaienne », les actuels élèves du palais ocre, de la BCM ou du MAED, égrènent des chiffres sur la situation économique et sociale du pays, au-delà de toute réalité et raison ; disons-le littéralement dans le mensonge le plus total, comme cette sortie en semaine, où Sid’Ahmed Ould Raiss, affirme le recul de la pauvreté en Mauritanie, et présente (encore) un tableau de bord idyllique des agrégats macro-sociaux du pays. Décryptage d’une manipulation d’état.

Habitué à tortiller la réalité dans tous les sens, pour une convenance politique du moment, l’ancien gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie, Sid’Ahmed Ould Raiss remet les couverts. Déjà, dans sa réponse à une question formulée à l’Assemblée Nationale en juin dernier, il affirmait sans trembler du menton, que « les investissements ont atteint ces dernières années 2000 milliards d’ouguiya ce qui a réduit considérablement le taux de pauvreté dans le pays désormais de 31% cette année, au lieu de 42% en 2008 ». Or les investisseurs fuient la Mauritanie comme la peste : "La zone franche de Nouadhibou ne marche pas; les investisseurs ne viennent pas. Elle sert plus de trafics aux stéphanois, et aux magouilles du directeur" explique un douanier travaillant dans cette enclave économique.

Le dernier rapport de l’évaluation globale du Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (2001-2015), en cours de validation ces 2 et 3 septembre à Nouakchott, mentionne un « recul appréciable de l’indicateur de pauvreté », qui serait passé de 51% en 2001, à 31% en 2013. Une affirmation que contredisent la plupart des ONG opérant sur le terrain, à l’intérieur notamment. « Le dernier rapport SMART, de juin 2015, élaboré conjointement par le gouvernement et les partenaires au développement, montre une explosion de la malnutrition infantile, à 30%, résultat direct de l’explosion de l’extrême pauvreté en Mauritanie, depuis 6 ans notamment » affirme un cadre d’une grande ONG internationale opérant à Nouakchott, et qui a requis l’anonymat.

Un constat auquel adhère cet infirmier-chef de poste de santé, dans la commune de Kankossa : «Depuis 4 ans que je travaille près de Kankossa, comme d’autres collègues, nous constatons un appauvrissement de nos malades, qui ont de moins en moins les moyens de se nourrir, donc de se soigner. D'ailleurs, même les postes de santé ont dépéri ces cinq dernières années. Regardez vous-mêmes : nous sommes obligés de perfuser et consulter nos patients en plein soleil! Cela n'a jamais été le cas avant cette période » témoigne l’infirmier.

Ce rapport alarmant, "catastrophique" même selon toutes les ONG consultées, est certes tenu sous le coude des commerciaux du gouvernement, quand il s'agit d'aller chercher de l'argent à l'extérieur, auprès des bailleurs, mais se perd dans les méandres de l'in-communication, et de la désinformation, quand il s'agit de le présenter aux mauritaniens, les premiers concernés.

Une question de pays prioritaires

« La Mauritanie ne pèse rien dans l’économie mondiale ; elle est inexistante, donc quelques faux chiffres de plus ou de moins… Objectivement les institutions internationales, notamment le FMI s’en moquent un peu ; c’est un pays qui ne peut apporter aucun danger à l’économie mondiale, contrairement à la Grèce par exemple » suppute un cadre financier à la retraite. « Le FMI ne s’intéresse qu’aux équilibres macroéconomiques, pas à la façon dont ceux-ci sont obtenus. Combien de fois il a été trompé avec des chiffres truqués. Ou même à défaut d'être trompé, combien de fois il a tu les incohérences de ces chiffres" s'interroge-t-il.

Il y a deux choses à dire par rapport à leurs témoignages. D’une part, il y a les chiffres tels qu’ils sont. Supposons qu’ils soient exacts, sont faits avec les exigences de la Banque Mondiale. Les gouvernements forts, manoeuvrent avec ces bailleurs de fonds. Mais pour notre régime, qui ne s’intéresse pas aux intérêts suprêmes de la nation, il n’y a pas ce genre de négociations. Le diktat des bailleurs est accepté tel quel depuis qu’Aziz est là.

D’autre part, sur l’exactitude de ces chiffres, il y a à boire et à manger. Si on annonce que les recettes de l’état ont augmenté, au niveau des impôts notamment, est-ce bon ou mauvais ? En l’occurrence non ! Car les recettes ont augmenté parce qu’on a appliqué une pression fiscale hors-norme, dans une période où l’activité économique même du pays a diminué à hauteur de 1% du PIB. Les impôts sont devenus insupportables en Mauritanie. Même les "Mousgharou", les éléments du GGSR, sont sommés, contraventions en main, de faire du chiffre, quotidiennement, "par tous les moyens" comme l'un d'entre eux en témoigne.

A force de tordre tous ces bras, l'os cassera bientôt, "trop d'impôt tuant l'impôt", comme le démontre Laffer: l'idée développée par cet économiste de l'offre, est que la relation positive entre croissance du taux d'imposition et croissance des recettes de l'État s'inverse lorsque le taux d'imposition devient trop élevé. Or dans le système administratif mauritanien actuel, l'imposition extrême aux contribuables et entreprises, ne respecte aucune logique de croissance, mais juste de renflouage pour masquer une crise socio-économique, résultant directement de la mal-gouvernance.

Mais c’est la seule solution trouvée par l’état pour pallier au marasme économique. C’est ce qui explique le surplus de recettes fiscales, qui est positif quand celui-ci est un corollaire à l’activité économique florissante. Or on en est loin, et c’est mauvais à court et long terme pour l’économie : il y a beaucoup de petites et moyennes entreprises qui ont déjà fermé » expliquait dans un entretien l’ancien rapporteur de la commission des finances à l’Assemblée nationale, Saleck Ould Sidi Mahmoud.

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